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Mon aîné

Un fait généalogique romancé par Jacques Blaquière

Quand j’ai vu la première fois comment les recenseurs unilingues anglophones de l’Île du Prince-Édouard avaient massacré l’orthographe de notre patronyme en 1798, je ne me faisais plus d’illusions sur ce que je trouverais dans les mois et les années à venir. L’aîné de la famille de notre ancêtre Louis Blaquière dit Le Merle, Lewi Blakair (Louis Blaquière fils) vivait avec sa famille à Rustico, à l’Île du Prince-Édouard en 1798 et avait été surnommé Nini par les recenseurs unilingues anglophones. Il portait en fait le surnom enfantin de Néné, soit l'Aîné de la famille.

À force de tourner et de retourner ce surnom Nini sur le bout de la langue, j'ai fini par découvrir les circonstances qui seraient à l’origine de ce surnom de la même façon que j’ai éventuellement réussi à retracer l’acte de mariage de notre arrière-grand-père, Laurent Blaquière, dont le nom avait été indexé sous Blatière dans le registre paroissial de Bloomfield à l'Île du Prince-Édouard. Il fallait prononcer Nini à l'anglaise, Naille-Naille (Néné). Avec quel accent les mots français étaient-ils prononcés et comment les anglophones unilingues les entendaient-ils pour les écrire ?

On imagine aussi facilement pourquoi le curé de Miquelon, l’abbé Longueville, avait surnommé Louis Blaquière dit Néné, Guillaume, lors de son mariage en 1784 et aussi lors du baptême de son fils aîné Louis Joseph en 1785. Ce surnom de Guillaume, en apparence anodin, est révélateur. Revenons à Néné. Il faut se rappeler que notre premier ancêtre nord-américain fut Louis Blaquière dit Le Merle arrivé à Louisbourg en 1750.

On apprend à l'époque dans les actes de sépultures de Miquelon, dans l'archipel des îles Saint-Pierre et Miquelon, que les funérailles de Louis dit Le Merle Blaquière eurent lieu le 28 mars 1768 en présence d'une multitude de personnes, spécialement de toute la troupe du roy, et nommément de André Paris et Léonard L'Hermitte, tous deux ses amis, et domiciliés de cette isle; et lesquels n'ont pû signer avec nous. André Paris et Léonard L’Hermite étaient des soldats qui avaient combattu aux côtés de Louis Blaquière dit Le Merle jusqu’à la capitulation de Louisbourg en 1758.

À ce moment-là, Néné Blaquière n’a que huit ans et, depuis l’âge de six ans, il est parrain de sa demi-sœur Marie-Anne qui porta le surnom de Louise, probablement par affinité de caractère avec son parrain et demi-frère aîné et aussi parce qu’elle est, elle aussi, l’aînée des filles de la maison.

À cette époque-là et bien avant, les garçons allaient à l’école de la vie. Il n’était pas rare de voir un garçon de cinq ou six ans travailler et apprendre un métier comme compagnon avec un artisan. Apprendre à lire et à écrire n’était que l’apanage des riches et des bien nantis. Lors du recensement de Miquelon en 1784, on apprend que Néné Blaquière, alors âgé de 24 ans, vit chez son oncle Jean-Baptiste Gauthier en qualité d’associé pêcheur et excellent maître d’équipage.

Il y a fort à parier que l’habileté de Néné à manier le rabot, un outil nommé aussi guillaume, pour construire et réparer des doris en bois pour la pêche ou toute autre construction de chaffauds sur les graves de Miquelon lui a valu le surnom de Guillaume lors de son mariage et au baptême de son aîné.

Son père, l’ancêtre Louis Blaquière dit Le Merle, n’a pas été épargné par les turpitudes de la vie. Selon un rapport posthume du gouverneur Gabriel Dangeac, son capitaine de milice, Louis Blaquière dit Le Merle portait une blessure au visage, une cicatrice à la joue droite. Cette mention a elle seule est révélatrice. On sait qu’à la capitulation de Louisbourg en 1758, l’ancêtre Louis Blaquière dit Le Merle fut fait prisonnier par les Anglais et amené en Angleterre comme prisonnier de guerre. Il fut rapatrié à St-Malo en mars 1759 de retour des prisons d'Angleterre où il commença une convalescence qui devait durer quatre ans.

Puis en mai 1763, il s’embarqua sur la flûte du Roy La Garonne avec sa nouvelle épouse Jeanne Briquant (De Pontbriand), marraine de son fils Néné, et avec le gouverneur Gabriel Dangeac pour se rendre dans l’archipel de St-Pierre et Miquelon où il fut sergent de milice pendant cinq ans jusqu’à sa mort en mars 1768. « Tu prendras bien soin de ta sœur, mon aîné! », devait-il dire à son fils avant de mourir alors âgé d’environ 39 ans. Il était effectivement dans sa trente-neuvième année de vie.

La jeune Louise sentait bien qu'il se passait quelque chose d'important dans cette pièce de la maison. Elle écoutait la voix de son père attentivement enveloppée dans les bras de son demi-frère et parrain et n’a sûrement pas oublié cette finale ...mon aîné ! D'ailleurs, ce n'était certainement pas la première fois que son père s'adressait ainsi à son fils aîné. Louise est alors âgée de 15 mois. Néné répétait-elle en regardant son parrain qui serait désormais son protecteur avec sa mère Simone Sollée, troisième épouse de Louis Blaquière dit Le Merle. Néné est le surnom que les recenseurs unilingues anglophones de l’Île du Prince-Édouard ont entendu et prononcé naille-naille et ont transcrit ce surnom tel quel à l'anglaise Nini au lieu de Néné. Néné fut vraisemblablement un surnom donné à l'aîné de la famille par sa filleule et jeune soeur Marie-Anne dite Louise Blaquière.

Le surnom militaire Le Merle de Louis Blaquière père vient de son lieu de naissance, le Mas de Merle en France. Ce surnom de guerre est unique sur les listes de militaires parmi les miliciens français qui sont venu en Nouvelle-France, ce qui jusqu’à un certain point a facilité la découverte de notre ancêtre dans les listes nominatives interminables de soldats. Le Mas de Merle, lieu de naissance du soldat Louis Blaquière dit Le Merle est une petite commune près du Causse-de-la-Selle non loin de S.Jean-de-Buèges, une paroisse du diocèse de Montpellier dans le Sud-Est de la France.

Les soldats avaient tous des surnoms de guerre qui étaient utilisés par les états majors dans leurs rapports au Roy pour éviter autant que possible d’alerter les proches, en particulier lorsqu’on identifiait ainsi par leurs surnoms de guerre les blessés et les morts. L’ancêtre Louis Blaquière dit Le Merle est déclaré originaire de Monpellier paroisse S.Jean dans son deuxième mariage en 1762 à Rochefort. Or, la consultation des nombreux registres paroissiaux du diocèse de Montpellier nous a permis de découvrir que Merle était aussi un patronyme aussi répandu que Blaquière dans cette région de la France. Cependant, notre ancêtre était bien un Blaquière né en 1730 au Mas de Merle, à environ 10 km de St-Jean-de-Buège dans le diocèse de Montpellier. Le père de Louis Blaquière dit Le Merle, Pierre Blaquière, était mégissier et gérait un imposant troupeau de moutons car le Mas de Merle était une vaste étendue de terre qui se prêtait particulièrement à ce genre d'élevage et sa mère, Marguerite Bonniol, était une texière ou tessière. Au Causse-de-la-Selle, les texiers ou tessiers fabriquaient des cadis, sorte de grands tapis épais faits de laine de moutons pour recouvrir les planchers des châteaux et autres grandes habitations.

Brossard QC, 24 août 2007
Révisé à Richmond QC, 27 octobre 2013
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Contact : Jacques Blaquière
Richmond QC - Canada J0B 2H0

2013.10.27